Maladie d’Alzheimer

Maladie d’Alzheimer

Quand André Gadbois se rend compte que sa mémoire s’efface, il plonge dans une tristesse infinie. Dans ces moments-là, il s’enferme dans son petit bureau, à la maison, pour faire jouer des disques de Françoise Hardy. Et il chante. 

C’est Diane Latour qui raconte l’histoire d’André. Parce que c’est aussi la sienne : ils sont mariés depuis 50 ans. « On a eu beaucoup de beaux projets ensemble. On a construit une maison, on a eu deux enfants, on a fait des voyages en Gaspésie et dans le Bas-du-Fleuve… »

Il y a quelques années, André a commencé à oublier des petites choses. Puis, des plus grandes. Peu à peu, la maladie d’Alzheimer lui a volé ses souvenirs, son autonomie, des pans entiers de sa vie. «Je n’avais plus de projets avec André, confie Diane. Mais là, on a un projet commun : la chorale.»

 Voici Diane Latour en compagnie de son mari André Gadbois, atteint de la maladie d’Alzheimer

Les yeux d’André s’illuminent. La chorale !

« J’aime ça, chanter, sourit l’ancien directeur d’école.
Ce sont les scouts qui m’ont appris. »

Il me raconte les premières pages du livre de sa vie, celles que la maladie n’a pas encore arrachées. Son enfance à Rosemont. Le Collège des Eudistes, sur les bancs duquel il a usé ses fonds de culotte.

Autour de nous, les 15 membres de la chorale, tous en déclin neurocognitif plus ou moins avancé, attendent dans une sorte de léger brouillard que la magie opère encore une fois. Bientôt, ils se regrouperont pour chanter, sous l’œil de leurs proches aidants. Gregory Charles s’installera au piano.

Et, le temps de quelques chansons, tout le monde oubliera la maladie.

Nous sommes à Montréal, sur le plateau de tournage de Tous en chœur, une série en huit épisodes qui sera diffusée sur les ondes d’AMI Télé à l’automne. L’expérience s’inspire du documentaire britannique Our Dementia Choir, un concept de la BBC racheté par le producteur québécois Sphère Média.

Il y a eu des moments de grâce pendant le tournage. Michèle, aphasique, est d’abord restée silencieuse, un doigt sur sa bouche, à écouter les autres. Lentement, discrètement, elle a commencé à chanter. Puis, tout d’un coup, elle est allée s’asseoir sur le banc, à côté de Gregory Charles. « Et elle s’est mise à jouer du piano », s’émerveille-t-il.

L’animateur en connaît un bout sur la maladie d’Alzheimer, dont ont souffert ses deux parents, et sur le pouvoir de la musique, qui dépasse largement les frontières de la mémoire.

« Ma mère a arrêté de parler presque trois ans avant son décès. Mais elle a chanté jusqu’à la veille. Avec les paroles ! »

En chantant, les membres de la chorale retrouvent leurs mots perdus. Surtout les mots des chansons qui ont bercé leur jeunesse, gravées dans leur mémoire. La vie en rose, N’oublie jamais.

C’est ce qu’Isabelle Peretz, professeure de psychologie à l’Université de Montréal et experte en cognition musicale, appelle la mémoire de soi.
« Le temps d’une chanson, les personnes ont accès à leur identité. Ça les réveille, les rend vivants et les humanise. »

« Souvent, il suffit de leur présenter la musique de leur jeunesse pour réveiller des souvenirs, explique-t-elle. Ces souvenirs sont logés dans une région frontale du cerveau relativement épargnée par l’effet dévastateur de la maladie. »

Si le chant est la dernière chose qu’on oublie, c’est qu’il relève de la mémoire procédurale, un peu comme faire du vélo. Mais ça va plus loin que ça.

Gregory Charles a tenu à écrire une nouvelle chanson pour ses choristes.

À chaque répétition, on ajoute des éléments. Ils la connaissent. Ils la chantent. On dirait que la musique met le métabolisme sur un tempo. Comme si toutes les parties du cerveau se mettaient à travailler en même temps sur ce rythme-là.

À tout le moins, la musique a de multiples effets thérapeutiques. Bien sûr, elle ne guérit pas la maladie d’Alzheimer, mais elle procure réconfort et bonheur à ceux qui en sont atteints – ce qui, déjà, n’est vraiment pas rien. 

Une étude montréalaise a montré que la musique stimulait les régions du cerveau associées au plaisir, à la manière du chocolat et des relations sexuelles, souligne Isabelle Peretz. « Ça joue sur l’humeur. Ça se voit sur les visages ; le chant procure un effet proche de l’extase. On parle de l’alzheimer, mais ça marche pour tout le monde. Ça met les gens sur un high. On pense que c’est grâce à la libération de dopamine et, probablement, d’endorphines. »

Et ce plaisir est décuplé quand les gens font de la musique ensemble.

J’ai interviewé Diane Latour une première fois en février 2021, pour une chronique sur l’élargissement de l’aide médicale à mourir aux Québécois souffrant de la maladie d’Alzheimer.

Diane Latour m’avait alors raconté l’histoire de sa grande amie, Micheline*. Hébergée en CHSLD, Micheline ne parlait plus, ne souriait plus. Son regard était éteint. Quand la première vague de la pandémie avait frappé, au printemps 2020, elle avait contracté la COVID-19. Et Diane, son amie, avait souhaité qu’elle meure.

La chronique s’intitulait L’urgence de mourir⁠1Quatre ans plus tard, Micheline respire toujours. « C’est la seule chose qu’elle fait par elle-même : respirer. Voyons, ce n’est pas une vie, ça », se désole Diane.

Chaque fois qu’elle lui rend visite au CHSLD, elle a un pincement au cœur. Chaque fois, elle se dit : « Ce n’est pas vrai qu’André Gadbois va se rendre là… »

Depuis le 30 octobre, les Québécois ayant reçu un diagnostic d’alzheimer peuvent présenter une demande anticipée d’aide médicale à mourir. Mais pour André Gadbois, il est trop tard. « Il n’est pas admissible, puisqu’il n’est pas en mesure d’accorder son consentement éclairé.»

Dans ces circonstances, Diane Latour sait trop bien qu’André va, peut-être, se rendre là. Il est déjà en chemin. « Ce que je trouve le plus dur de cette maladie, ce n’est pas répéter. Je peux répéter cent mille fois la même chose, ça ne me dérange pas. C’est de ne plus avoir de conversations. C’est dur de voir l’homme que tu as aimé ne plus être lui du tout.»

Heureusement, il reste la musique. Pour André, et pour les autres membres de cette singulière chorale qui fait du bien. « Ils ne se sentent bons dans rien, confie Diane. Là, ils vivent enfin quelque chose où ils se sentent bons. » - Prénom fictif

Source: ICI.