Mourir dans la dignité
Hier, c'était Simone, vous vous rappelez? Elle nous accueillait avec son sens de l'humour qui ridiculisait le mauvais temps pour mieux l'oublier. Je l'ai vu à l'hôpital, faible et désarmée, épuisée, vaincue par le cancer qui nous arrache jusqu'à notre dignité et ne rend que plus vrai la foi, l'espérance et l'amour qui l'animaient.
L'autre jour, c'était Flora au bout de son âge, ne sachant même pas comment mourir: Dieu m'aurait-il oubliée?
Comment on fait pour mourir, avait demandé la petite Thérèse, ça ne m'est encore jamais arrivé!
Il y eut Dorian, trop jeune; il est interdit de mourir à 40 ans, il a ramassé sa vie, il l'a donnée sans bruit, sans éclat.
Et Robert, avec une foi à transporter les montagnes, et Alexandre, animé d'une espérance invincible, Fernande et sa sérénité apaisante, puis Roland, Marthe, Jacques et Suzanne.
À force de fréquenter des saints, on finira peut-être par le devenir!
Chaque personne, chaque vie est une histoire unique, exclusive. Nous sentons, à les regarder vivre et mourir, que nous sommes éternels et, quand ils nous quittent, ce n'est pas leur éloge qu'il faut faire mais l'éloge de Dieu qui réalise en eux son œuvre. « Dieu a créé l’homme pour une existence impérissable, il a fait de lui une image de ce qu’il est lui-même. » (Sag 2, 23)
Le beau risque
Pourtant, l'homme d'aujourd'hui semble vivre avec une facilité étonnante sans se préoccuper de l'au-delà. Il manipule et manœuvre tant de choses qu'il ne lui reste plus de temps pour donner un sens au temps. Il y a une éternité vraie, positive, qui s'étend au-delà du temps; il y en a une autre, négative, fausse, qui se situe en-deçà, comme disait un sociologue; celle où nous croupissons, loin du salut, hors de la compétence d'un rédempteur.
Si nous sommes seuls sur cette terre, sans destinée, sans destination, alors la vie est intolérable! Nous le savons d'instinct, nous sommes faits pour plus que nous-mêmes. Et si l'idée d'éternité ne se met pas en preuve, elle ne doit pas non plus être pensée à partir de nos peurs, de nos désirs ou de nos phantasmes, elle nous est d'emblée annoncée sans autre fondement qu'une Parole divine. Et c'est un beau risque de passer dans le camp de Dieu car la foi pour le chrétien ne s'exprime pas en évidence et en démonstration mais en promesse et en signe. Nous sommes de la race de Dieu et l'éternité est ce que Dieu en pense, c'est Dieu lui-même qui seul peut combler tous nos désirs. Dieu est une richesse, une beauté tellement grande qu'il faut se défaire de soi-même, se dépouiller de tout, qu'il faut mourir pour le contempler.
La dignité de la mort
Le moment de sa mort, aux yeux de la foi, n'est pas le moment où on perd la vie mais bien celui où commence la vraie vie, celle qui durera toujours.
Aucun de ceux-là qui sont partis ailleurs ne voulait souffrir, personne ne veut souffrir; même Dieu est contre la souffrance. Au moment de la mort, les dernières heures, les ultimes contractions du cœur, les derniers souffles de la respiration font davantage penser à un commencement qu'à une fin et s'apparentent à une nouvelle naissance, à la force de naître.
Mourir dans la dignité est, bien sûr, utiliser les médicaments et tous les soins disponibles qui soulagent la douleur. Mais mourir dans la dignité, c'est surtout laisser un espace à Dieu; Dieu n'est pas cet être distant, impassible, indifférent, encore moins ce juge implacable qui nous menace, mais plutôt celui dont l’amour est si grand qu’il nous ouvre ses bras, nous serre contre son cœur et nous dit comme on dit à un enfant qui a eu mal: N’aie plus peur, c’est fini maintenant! Ou plutôt, ça commence. « Je reviendrai vous prendre avec moi, et là où je suis, vous y serez aussi.» (Jn14, 3)
Célébrer dans la joie
Aujourd'hui, la liturgie des défunts, depuis Vatican II, se célèbre en blanc pour faire ressortir la joie de la réussite de toutes ces vies assumées dans l'amour. La souffrances, la maladie, la misère humaine qui nous confrontent inévitablement chaque jour dans cette vallée de larmes ne sont rien, dit le livre de la Sagesse (Sag 3, 5), «en comparaison au bonheur dont nous serons comblés».Mais, je sais, moi, insiste le livre de Job, que mon rédempteur est vivant, et que, de ma chair je verrai Dieu.
La perspective chrétienne nous rassure et nous éclaire. «Pour aller où je m’en vais, dit Jésus, vous savez le chemin. » Que de chemins nous prenons, vous et moi, qui ne mènent nulle part, qui sont des impasses ! Aujourd’hui, à chacun (e) de nous qui marchons sur les routes de la vie, Jésus dit : « Moi, je suis le chemin, la vérité et la vie, et personne ne va vers le Père sans passer par moi. » (Jn14, 6)
Source: Claude Brissette ptre - « Mourir dans la dignité » - 2 novembre 2025












