Êtes-vous prêts à vous serrer la ceinture ?

Même si le premier ministre Mark Carney a mis une double épaisseur de gants blancs pour le dire, l’augmentation de nos dépenses militaires exigera des sacrifices importants.
Lors du sommet de l’OTAN, les pays membres ont convenu d’allouer à la défense 5 % de leur PIB, d’ici 2035, au lieu de la cible actuelle de 2 %. La marche est haute pour le Canada, qui était très loin du compte (1,4 %) avant que Mark Carney décide d’injecter 9 milliards pour y arriver.
Il n’avait plus le choix.
Le monde est beaucoup plus divisé et dangereux, comme le démontrent les conflits au Moyen-Orient et en Ukraine. La Russie et la Chine reluquent l’Arctique. Et les États-Unis rechignent à jouer le rôle de shérif de la planète. Au contraire, Donald Trump a adopté une rhétorique belliqueuse envers ses alliés, notamment le Canada et le Groenland.
Mais atteindre 5 % va nous coûter cher. Vous voulez des chiffres ? D’accord. Mais auparavant, quelques nuances s’imposent.
Premièrement, la cible de 5 % semble un peu destinée à calmer le président des États-Unis qui ne veut plus assurer la protection de ses alliés à ses frais. Elle pourrait être revue une fois son mandat terminé, surtout si les tensions géopolitiques s’amenuisent. L’OTAN prévoit d’ailleurs une révision en 2029 selon « le contexte stratégique » et les « objectifs capacitaires ».
Deuxièmement, la cible de 5 % se divise en deux : 3,5 % pour les dépenses militaires et 1,5 % pour d’autres dépenses adjacentes (ex. : infrastructure névralgique, cybersécurité) qui profiteront aussi à la société civile.
La bouchée est moins grosse si on s’en tient à 3,5 %, même si elle reste difficile à avaler. L’économiste Trevor Tombe calcule qu’il faudrait plus que tripler le budget actuel de la défense1.
Pour atteindre 3,5 %, il faudrait dépenser 160 milliards en 2035, soit 132 milliards en dollars d’aujourd’hui. Actuellement, Ottawa consacre environ 40 milliards à la défense.
L’écart est énorme. Mais Mark Carney refuse de dire d’où viendra l’argent.
Pour financer la hausse des dépenses militaires, il faudrait qu’il réduise de 3 % toutes les autres dépenses fédérales, ce qui est loin d’être évident considérant la pression que la démographie exerce sur les plus grands programmes de l’État, comme les rentes aux aînés et les transferts en santé auxquels le premier ministre a promis de ne pas toucher.
Sinon, M. Carney pourrait augmenter les taxes ou les impôts (qu’il vient néanmoins de réduire). Pour vous donner un ordre de grandeur, il faudrait que la TPS passe de 5 % à 11,5 %. En ajoutant la TVQ, les taxes à la consommation atteindraient 21,5 % au Québec. Un choc pour les ménages qui se plaignent déjà que tout coûte cher.
Autrement, il pourrait être tenté de pelleter le problème plus loin, en creusant des déficits annuels encore plus profonds, ce qui ferait augmenter la dette. Dans ce cas, le ratio dette-PIB grimperait de 42 % aujourd’hui à 50 % en 2035. C’est encore plus élevé que durant la pandémie !
Cette option n’est pas équitable pour les générations futures qui devraient payer la facture.
On peut bien dire que le Canada a de la marge de manœuvre, car il est moins endetté que les autres pays du G7. Mais depuis trois ans, le service de la dette a plus que doublé. En 2023-2024, Ottawa a versé 47 milliards de dollars d’intérêts, autant que l’argent qu’il a transféré aux provinces pour la santé.
En continuant comme ça, on pourrait se retrouver dans un cercle vicieux où la hausse des intérêts grugerait le budget du gouvernement, qui serait obligé d’emprunter encore davantage pour assurer le financement de ses programmes.
On ne veut pas en arriver là.
En campagne électorale, les libéraux ont fait preuve d’une grande créativité comptable, en séparant le budget en deux types de dépenses.
D’une part, Mark Carney a promis d’équilibrer d’ici trois ans le budget de « fonctionnement », un concept pour lequel il n’existe pas de définition claire. D’autre part, il ne s’est pas fixé de limite pour les autres dépenses en « capital ».
Il pourrait donc atteindre sa cible sans même respecter les ancrages budgétaires du gouvernement Trudeau qui avait promis de maintenir le déficit annuel en dessous de 1 % du PIB et de réduire le ratio dette-PIB à moyen terme.
En fait, il pourrait remplir sa promesse sans que la trajectoire empruntée soit « viable sur le plan budgétaire », signale le Directeur parlementaire du budget2.
Le flou actuel n’est pas souhaitable. Il nuit à la confiance des Canadiens qui ont le droit de savoir où s’en vont les finances publiques du pays.
On comprend que le Canada doit agir rapidement et fermement pour assurer sa sécurité. Mais cela doit s’accompagner d’une gouvernance à toute épreuve. On ne veut pas d’une réédition de la pandémie, où le Canada a gaspillé des milliards pour répondre à une situation d’urgence.
Il paraît clair que les Canadiens devront se serrer la ceinture. Encore faut-il savoir de combien de trous.
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